Un samedi matin sur le marché Saint-Michel. Les quatre « pasteurs du désert » sont en mission d’évangélisation. Surmotivés, armés de banderoles, ils viennent porter la bonne parole, criant entre les stands, à qui veut l’entendre. Ou pas.
Une immense croix en bois et de grandes bannières à bout de bras, des K-Ways rouges sur le dos, une Bible et un mégaphone à la main. Samedi matin, sur le marché, Patrice, Jérôme (« avec un J comme Jésus Christ ») et Desmond sont parés pour prêcher la parole de Dieu. Auto-proclamés « pasteurs du désert », ils récitent haut et fort des versets qu’ils connaissent par cœur. « Lisez la bible ; en enfer, il sera trop tard », proclame l’étendard de Desmond, l’Irlandais du groupe. Les trois prêcheurs évangélistes font tout ce qu’ils peuvent pour attirer l’attention. « Je reproche à l’église de rester entre quatre murs. Il faut réveiller le christianisme évangélique, qu’il se manifeste à l’extérieur pour que les gens entendent le message de Dieu ».
« Un marché, c’est un espace public ! »
« Nous pourrions être vus comme des croisés, reconnaissait Patrice quelques jours plus tôt. Mais nous avons toujours été bien accueillis dans le quartier ». Dommage : à peine sont-ils installés sur le marché de l’alimentation, place Duburg, qu’une passante menace d’appeler la police. « Tout ce qui est religieux est interdit ici ! », s’époumone t-elle. Patrice lui conseille de se repentir. Et au plus vite. « Je souhaite que Dieu vous pardonne vos péchés et que vous vous tourniez un jour vers Jésus pour lui demander pardon. » Avant de lever le camp pour éviter la cavalerie. Direction les quais.
A la porte de Bourgogne, Jean-Pierre, un autre pasteur du désert, les rejoint pour distribuer des tracts. Une habitante les interpelle à son tour, furibonde. « Nous sommes dans un pays laïc. Il existe des lieux où toutes les confessions peuvent se réunir , prier, prêcher. Cela s’appelle des églises, des synagogues, des mosquées… Je considère que ce que font ces gens est inadmissible, s’indigne Evelyne, 70 ans. Nous sommes sur un marché, c’est un espace public ! » Mais les quatre prédicateurs, habitués à sillonner Bordeaux et la France, ont appris à parer ce type d’attaques sur la sacro-sainte laïcité. Ils brandissent à leurs détracteurs la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne qui garantit « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ».
« Au temps de Jésus, c’était déjà comme ça »
Quelques marchands viennent naturellement s’attrouper autour des « pasteurs du désert ». Auraient-ils enfin trouvé de nouveaux disciples ? Négatif. Ils prêchent des convaincus. Le petit groupe d’enthousiastes est déjà membre de Vie et Lumière, mission Évangélique des Tziganes de France. « Les gens sont surpris quand ils voient des prédicateurs mais au temps de Jésus, c’était comme ça aussi. Et ça choquait déjà les gens, affirme Jean-Antoine, 42 ans, marchand de tissus. Je pense qu’il devrait y avoir plus de gens qui prennent le temps de témoigner et de prêcher. »
Certains passants chahutent les prédicateurs sur leur passage – « Retournez-y dans votre désert ! » Pas de quoi troubler la délégation évangéliste dans sa mission céleste. « S’ils nous insultent, c’est que quelque part on les touche, c’est que le message de Dieu passe dans leur coeur », se réjouit Desmond. Contre vents et marées, les pasteurs du désert tracent leurs routes sur les quais de la Garonne. Et s’obstinent à voir dans chaque détracteur une brebis égarée.
Julie Gonnet et Ange-Claudia Lipemh